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Perturbation du sommeil chez les malvoyants

jeudi 17 mars 2011


Pourquoi le sommeil des non-voyants est-il souvent perturbé ?

Pr Damien LÉGER et Dr Pascale OGRIZEK[9]

Depuis quelques années, on sait de manière plus précise que le sommeil des aveugles n’est perturbé non pas uniquement pour des raisons psychologiques mais également en raison de l’absence de stimulation de l’horloge biologique par la lumière. La non-perception de la lumière les empêcherait de "caler" leur rythme de sommeil sur la périodicité jour-nuit et expliquerait les difficultés cycliques pour s’endormir et les épisodes de somnolence involontaires que certains non-voyants ressentent par périodes. La mélatonine, une hormone dont la sécrétion est perturbée par l’absence de lumière, est sans doute une solution permettant de mieux réguler le sommeil des non-voyants.

Les projections visuelles – chiasma des nerfs optiques D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, le nombre de personnes présentant une atteinte visuelle sévère serait de 180 millions dans le monde dont 45 millions de non-voyants. Certains de ces non-voyants n’ont pas de perception consciente de la lumière. Outre le handicap de la cécité, ils peuvent aussi présenter une désynchronisation de l’horloge biologique, et en particulier des rythmes de l’éveil et du sommeil par rapport au cycle jour-nuit. Leur sommeil n’étant plus synchronisé par rapport au rythme de 24 heures se met en « libre cours », ce qui veut dire qu’il peut survenir en plusieurs épisodes au cours des 24 heures sans tenir compte de l’alternance du jour et de la nuit : des difficultés d’endormissement, des réveils au cours de la nuit, une somnolence dans la journée peuvent en résulter.

L’horloge biologique et la lumière La lumière joue en effet un rôle important de synchroniseur, sorte de "chef d’orchestre", des rythmes biologiques circadiens, c’est-à-dire rythmés sur 24 heures et fonction du jour et de la nuit. Pour être en harmonie avec les rythmes du cosmos (rotation de la terre sur elle-même et autour du soleil, rotation de la Lune autour de la Terre), la biologie des êtres vivants s’organise autour de cycles régulés par une horloge interne. Les rythmes biologiques permettent aux organismes de s’adapter aux variations cycliques, journalières et annuelles de leur environnement. Chez l’homme, les grandes fonctions telles que le sommeil, les variations de la température corporelle ou les secrétions hormonales fluctuent selon un horaire de 24 heures. C’est le rythme circadien qui s’organise autour de l’alternance de périodes d’activité et de repos, calquées sur le cycle jour/nuit.

Influence de la lumière  L’horloge interne qui régule les cycles circadiens et orchestre les cycles biologiques se situe dans le cerveau, à la base de l’hypothalamus, dans de petites structures cérébrales, les noyaux suprachiasmatiques, situés juste au-dessus du chiasma optique, lieu de croisement des deux nerfs optiques. Au nombre de deux, ces noyaux comportent chacun quelques dizaines de milliers de neurones qui peuvent recevoir, grâce à leur position stratégique par rapport aux nerfs optiques, des informations sur le niveau d’intensité lumineuse ambiante. La lumière du jour agit, par l’intermédiaire de la rétine et des voies optiques, comme un resynchroniseur de l’horloge biologique qui doit, comme toute horloge, être ajustée quotidiennement. L’information lumineuse reçue par les noyaux suprachiasmatiques est transmise à la glande pinéale, responsable de la sécrétion de la mélatonine. Cette neurohormone (dont le nom vient du grec mélanos=noir) est sécrétée en fonction du cycle jour/nuit : la présence de lumière bloque sa synthèse alors que l’obscurité la déclenche. La sécrétion de mélatonine informe l’organisme de l’arrivée de la nuit et induit le sommeil. L’alternance jour/nuit, par l’intermédiaire de la mélatonine, régule nos cycles biologiques et en particulier notre sommeil. Il y a quelques années, des chercheurs comme Michel Siffre, se sont isolés volontairement quelques semaines dans des grottes et ont montré qu’en l’absence de stimulation par la lumière leur horloge se désynchronisait. C’est également cette « désynchronisation » qui se produit chez les aveugles qui ne perçoivent pas la lumière.

Quels troubles du sommeil ? Il y a un peu plus de 10 ans, avec l’aide de l’Association Valentin Hauÿ, nous avons réalisé une étude par questionnaire en braille chez 1 073 aveugles comparés à des personnes voyantes de même sexe et âge. Cette étude a montré une plus forte fréquence des troubles du sommeil chez les non-voyants. 83% des aveugles disent présenter au moins un problème de sommeil, principalement des réveils nocturnes avec difficultés pour se rendormir (54%), mais aussi une durée de sommeil trop courte (49%), un réveil trop précoce (45%), une qualité du sommeil pauvre (43%), des difficultés d’endormissement (35 %). Les aveugles se plaignaient plus d’insomnie que les voyants (35% versus 26%), ils prenaient aussi plus fréquemment des somnifères que les témoins (25% vs 13%) et se plaignaient plus fréquemment de somnolence diurne (14% vs 6%). Par ailleurs, 17% des non-voyants et 8% des témoins étaient en « libre cours ». Une autre étude que nous avons réalisée sur le sommeil des enfants aveugles retrouve une prévalence de l’insomnie plus fréquente chez les enfants non - voyants que chez les enfants voyants. Toutefois, les rythmes de sommeil en « libre cours » ne sont pas plus fréquents chez les enfants aveugles sans perception de la lumière que chez les enfants voyants, sans doute parce que la perturbation chronobiologique est compensée par l’obligation d’avoir des horaires de sommeil réguliers et de se lever tôt pour aller à l’école. Des enregistrements du sommeil réalisés chez 26 aveugles en « libre cours » et comparés à ceux d’un groupe apparié de témoins montrent une diminution significative du temps de sommeil total et de l’efficacité du sommeil, ainsi qu’une augmentation de la latence d’endormissement et une diminution de la proportion de sommeil paradoxal chez les sujets non-voyants. Bien que de multiples autres causes telles que l’origine de la cécité et les conditions de vie difficiles des non-voyants puissent influencer leurs difficultés de sommeil, la non perception de la lumière semble jouer un rôle non négligeable.


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